“Nous devons collectivement apprendre à gouverner et à légiférer différemment.” Lors de son allocution aux Français mercredi 22 juin, Emmanuel Macron a dit avoir pris acte des “fractures” qui “se reflètent dans la composition de la nouvelle Assemblée”. Le président de la République, qui a perdu la majorité absolue aux législatives, s’est dit prêt à “construire des engagements” avec ses adversaires politiques, de droite comme de gauche.
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“Comme dans la plupart des démocraties occidentales, que ce soit l’Allemagne, l’Italie, bien d’autres, aucune force politique aujourd’hui ne peut faire les lois seule”, a-t-il déclaré. Le chef de l’Etat dit-il le vrai ou le “faux” ? S’il a cité des pays occidentaux, Emmanuel Macron a cité des exemples européens. Dès lors, franceinfo vous propose un tour d’horizon du fonctionnement politique de nos plus proches voisins.
Les spécialistes interrogés par franceinfo sont d’accord avec Emmanuel Macron sur ce point. “On peut considérer qu’à part le Royaume-Uni, toutes les démocraties européennes sont vraiment gouvernées par des coalitions”, estime Marie-Claire Ponthoreau, professeur de droit public à l’université de Bordeaux.
Cette pratique est due en partie au mode de désignation des parlementaires, ajoute le politologue Olivier Costa. En France, un scrutin à deux tours favorise traditionnellement l’émergence d’une majorité présidentielle claire. En revanche, « dans la quasi-totalité des pays européens, les modes de vote sont totalement proportionnels, ou partiellement proportionnels à une dose majoritaire », analyse le directeur de recherche CNRS au Cevipof. Il est donc très rare qu’il existe une seule force politique disposant de la majorité absolue. .
“L’exemple typique est vraiment l’Allemagne.”
Marie-Claire Ponthoreau, professeur de droit public
un franceinfo
Les coalitions sont la marque de fabrique du système politique outre-Rhin. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le pays n’a connu un gouvernement composé d’une seule force politique que pendant quatorze mois, entre 1960 et 1961. C’était la CDU, le parti de centre-droit. L’actuel gouvernement du chancelier Olaf Scholz s’appuie sur une coalition dite “traffic light”, qui réunit le Parti social-démocrate (SPD), les libéraux (FDP) et les Verts.
En Allemagne, la construction d’alliances passe par la signature d’un « contrat de coalition » entre les parties. Le document actuel, présenté en novembre, compte 177 pages (PDF en allemand) et présente la feuille de route du gouvernement. “C’est un texte qui présente de manière très détaillée le programme sur lequel les partis politiques s’accordent, pour éviter de futurs conflits”, explique Olivier Costa. Le texte envisage, entre autres, la sortie du charbon “idéalement” d’ici 2030, une augmentation du salaire minimum et la légalisation de la consommation de cannabis.
Dans les pays scandinaves, la culture de l’engagement et des alliances est également répandue. En Finlande, la Première ministre Sanna Marin est à la tête d’une coalition de cinq partis de gauche et du centre, rapporte La Croix (article d’abonné). En Suède, les sociaux-démocrates dépendent souvent du soutien du Parti de gauche ou des Verts, et plus occasionnellement du Parti du centre. Il s’agit généralement d’un soutien au cas par cas, parfois avec des accords plus larges sur des questions spécifiques.
D’autres pays, moins familiers avec la culture de l’engagement, ont été contraints de former des coalitions face à l’évolution du paysage politique. En Espagne, le Parti populaire, classé à droite, et le Parti socialiste (PSOE), à gauche, disposent alternativement depuis un certain temps de la majorité absolue. Le bipartisme s’est effondré fin 2015 avec l’avancée des libéraux de Ciudadanos et du parti radical de gauche Podemos aux élections législatives.
Le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez a fini par s’entendre en 2019 avec Podemos pour former le premier gouvernement de coalition depuis la mort du dictateur Franco en 1975 et le rétablissement de la démocratie. Cela n’exclut pas des tensions récurrentes, comme la récente réforme du marché du travail. La coalition reste fragile, car elle n’a pas la majorité absolue au Parlement. Par conséquent, il doit constamment forger des alliances avec d’autres partis pour faire passer des lois.
Ces alliances fragilisent-elles la stabilité des gouvernements et favorisent-elles l’immobilisme chez nos voisins ? Pas forcément, selon les spécialistes. En Allemagne, par exemple, le contrat de coalition garantit la stabilité mondiale.
En revanche, l’Italie est souvent considérée comme « la championne de l’instabilité », rappelle Olivier Costa. Depuis l’après-guerre, le pays connaît en moyenne un nouveau gouvernement chaque année, explique François Beaudonnet, rédacteur en chef de la rédaction européenne de France Télévisions. La nomination du Premier ministre est souvent un casse-tête et conduit parfois à recourir à une « figure providentielle » sur laquelle s’appuie un compromis. « Aujourd’hui, l’Italie s’est unie autour de la figure fédératrice de Mario Draghi, illustre Marie-Claire Ponthoreau.
Dans ces pays habitués aux coalitions, la formation des gouvernements peut aussi prendre des semaines, voire des mois. Après les élections législatives de mai 2019, la Belgique a attendu seize mois qu’une coalition de sept partis se mette d’accord sur la composition d’un gouvernement majoritaire. “Cela ne veut pas dire que le pays n’a pas de gouvernement pendant cette période, car le gouvernement démissionnaire est chargé de gérer la situation actuelle”, a précisé Olivier Costa.
Reste enfin à savoir si ce système pourra être transposé en France. En théorie, la Constitution de la Ve République, datant de 1958, a instauré un régime parlementaire. En pratique, l’élection du président de la République au suffrage universel à partir de 1962 et la réforme quinquennale de 2000 ont renforcé la position du chef de l’État. Dans ce contexte, le caractère parlementaire du système est devenu moins important, comme détaillé sur la page vie-publique.
“Cependant, la coexistence a montré que la Constitution est plastique. Par conséquent, elle pourrait très bien s’adapter à la situation que nous connaissons aujourd’hui.”
Marie-Claire Ponthoreau, professeur de droit public
un franceinfo
“L’inconnue, c’est plutôt la capacité des forces politiques à négocier et à essayer de s’entendre”, poursuit Marie-Claire Ponthoreau. “Nous sommes dans un régime mixte, à la fois présidentiel et parlementaire” où “l’engagement se vit comme un engagement”, analyse le politologue Pascal Perrineau. Pour l’instant, les discussions entre le Premier ministre et les différents partis politiques pour former un gouvernement de coalition sont au point mort.