Dès qu’il est descendu du palier, qui est en arrière-plan pour rendre la scène plus réaliste, le robot fait ses premiers pas sur le sol noir. Ses roues patinent un peu, il bouge la tête de gauche à droite avec ses yeux de caméra et se déplace lentement. Son long bras s’étire, sa main s’ouvre et il attrape une pierre qui lui semble belle et intéressante, comme un enfant qui ramasse des billes colorées sur le sol.
A quelques mètres de lui, son jumeau installe des antennes qui vont capter les fréquences de l’univers lointain. Ensemble, ils recueillent des informations sur le terrain pour dessiner une carte lunaire. Les deux robots se saluent à distance, comme pour se dire “tout va bien”, et poursuivent leur travail.
“Ici, sur l’Etna, nous testons nos robots-rover, car ils sont construits sur roues, en conditions réelles, sur un terrain très similaire aux conditions lunaires, nous avons donc choisi de venir ici avec nos machines, car la terre est aussi noire que le lune “explique Armin Wedler, chef de mission et ingénieur en robotique à l’agence spatiale allemande DLR.
Depuis quelques jours, l’Etna s’est transformé en un immense champ d’expérimentation pour plusieurs dizaines de scientifiques et ingénieurs de l’Agence spatiale européenne (ESA) et du DLR. Il faut grimper jusqu’à deux mille six cents mètres d’altitude, au pied du cratère fumant, pour découvrir ces étonnants robots.
“Le sable volcanique a une composition identique à celle du sol lunaire“, explique l’astrophysicien Bernard Foing, considéré comme le père de la première mission européenne vers la lune, la mission Smart 1 entre 2003 et 2006.”Ici on s’apprête à construire un village lunaire où il y aura des expériences scientifiques pour étudier la Lune, mais aussi de l’astronomie, de la cosmologie pour observer les planètes et aussi la Terre. Ces robots, qui pèsent une trentaine de kilos, pourraient faire partie de la future mission lunaire de l’ESA, transportés vers la station orbitale Gateway qui sera construite à partir de 2024.
La robotique en action
Dans le volcan sicilien, l’ESA veut également évaluer le système qui permettra aux astronautes en orbite de contrôler à distance le rover qui explorera les surfaces lunaires. Avec ses trois cents kilos, Interact est plus imposant que les rovers jumeaux, il n’est donc utilisé que pour des expériences terrestres.
Interact est venu à l’Etna pour tester un appareil haptique, c’est-à-dire un système qui permet au contrôleur du robot de détecter exactement ce que la machine touche. Thomas Reiter, ancien astronaute de l’Agence européenne, s’est entraîné pendant des heures avec le bras mécanique qui lui sert de joystick. ” La prochaine fois que nous irons sur la Lune, ce ne sera pas pour faire quelques pas, nous voulons y rester longtemps, et la prochaine étape sera la planète Mars.il assure. J’avais 11 ans quand Armstrong et Aldrin ont atterri sur la lune, et je frissonne quand j’y repense ! »
D’une chambre d’hôtel transformée en salle de contrôle, située à vingt-trois milles du volcan, la main de Thomas Reiter devient la main installée dans Interact. La force qu’il exerce sur le joystick est exactement la force que la main robotique utilisera pour saisir une pierre ou saisir du sable. “Pour ce retour sur la Lune, nous devons être techniquement préparés, et l’Etna est parfait pour pratiquer et tester les instruments qui nous aideront à acquérir des connaissances scientifiques sur notre satellite. »ajoute l’astronaute allemand.
Le but est évidemment d’envoyer les robots seuls sur le sol lunaire et de les contrôler à distance depuis le module de la station Gateway. “Nous utilisons les principes de l’intelligence artificielle, nous remplissons donc ces robots d’informations qu’ils peuvent utiliser. Par exemple, choisissez une pierre et pas une autre, quand les scientifiques des missions lunaires devront prélever un échantillon» explique Benoit Putzeys, un ingénieur luxembourgeois de 26 ans qui travaille pour l’Esa à La Haye.Espérons que d’une manière ou d’une autre, à un moment donné, la quantité d’informations dont vous disposez vous permettra de discerner certaines actions sans commande.», ajoute le jeune homme, qui teste son programme pour la première fois en champ réel, loin de son laboratoire.
Bonjour Jupiter ?
Les touristes qui montent en groupe vers l’Etna s’arrêtent, curieux, ils se croient devant un tournage. C’est vrai que les robots ont un petit côté Star Wars. Ces touristes ne se doutent pas que toutes les expériences menées sur le volcan ces derniers jours ont un but bien précis : reproduire fidèlement ce qui pourrait se passer lorsque la mission lunaire de l’ESA -organisée en collaboration avec la NASA et l’agence spatiale japonaise, Jaxa-, sera lancé, à partir de 2024 ou 2025 au plus tard.
« Des robots vont installer ce type de boitier à des endroits bien précis, pour constituer un réseau de capteursa expliqué Benoît Foing. Surtout au bout de la Lune, un endroit inexploré où il n’y a pas de pollution aussi souvent que sur Terre. Ces récepteurs équipés d’antennes pourront capter des bruits provenant d’autres planètes et peut-être, pourrait-on rêver, de l’Univers très lointain.
Mardi à l’Etna, les antennes du système LoFar ont capté une fréquence de Jupiter. “Jupiter est plus brillant que le Soleil dans le domaine de la radio et parfois, lorsque le satellite de Jupiter Io traverse son champ magnétique, il émet des bruits. Cela s’est produit hier (mercredi, NB), à 1 h du matin, alors que Jupiter se levait. Nous avons donc fait une mission de nuit pour observer et capter l’éruption de Jupiter. »
Partout, dans les cinq cents mètres carrés de terre volcanique où se déroule la mission, l’enthousiasme est palpable. La plupart des ingénieurs présents n’ont pas 30 ans. “Les Américains de la NASA sont plus avancés avec leurs roversadmet Alin Albu Schäffer du département robotique de l’agence spatiale allemande. Mais l’idée de faire travailler les différents robots ensemble est notre point fort !”
L’un des robots s’arrête juste devant un obstacle, examine le sol et envoie l’information à son jumeau pour indiquer la nouvelle route à emprunter et éviter l’obstacle. Ce n’est pas un détail que le projet de mission s’appelle Arches, en français, « réseau de robots autonomes au service des sociétés modernes ». Car après avoir marché, ou plutôt roulé sur la Lune, ces robots bourrés d’intelligence artificielle reviendront sur Terre pour aider, par exemple, à nettoyer avec précision les champs de bataille avec leurs mains ou à classer les déchets. Des actions moins glorieuses que de suivre les traces d’Armstrong, bien sûr, mais cela pourrait aussi être un grand pas pour l’humanité. Même pour un robot !