S’il ne veut pas interpréter les “prophètes catastrophiques”, Pascal Mormal ne veut pas fermer les yeux sur les chiffres qu’il analyse quotidiennement. “Ils sont très inquiétants”, nous a-t-il dit. Le météorologue de l’Institut royal météorologique (IRM), actif depuis 1999, a connu un véritable réveil à l’été 2019. La canicule qui a touché notre pays à cette époque l’a particulièrement marqué. “On ne voyait plus vraiment où était la limite en termes de températures”, se souvient-il. Si les valeurs enregistrées sur son thermomètre l’ont surpris à cette époque, le météorologue est conscient qu’elles seront de plus en plus fréquentes à l’avenir… comment’Invité de LaLibre.be samedi, Pascal Mormal fait le point sur les prévisions pour les semaines à venir et évoque les conséquences de plus en plus présentes du réchauffement climatique.
Est-il désormais certain que notre pays connaîtra une vague de chaleur dans les prochains jours ?
Pour pouvoir parler de canicule en Belgique, une température de 25 degrés ou plus doit être relevée pendant au moins cinq jours consécutifs. Il faut aussi dans cette séquence que la température atteigne ou dépasse 30 degrés pendant trois jours. Si nous analysons les caractéristiques des températures attendues pour les huit prochains jours, il existe de nombreuses possibilités que ces critères soient remplis. Ce qui va se passer est encore assez inquiétant. Les modèles de prévision et les différents scénarios sont fréquemment mis à jour. Dans un premier temps, nous avons vu que le scénario « le plus extrême » était relativement isolé. Maintenant, cependant, il tend à gagner en crédibilité. Par conséquent, nous serons généralement confrontés à des températures très élevées. La question est de savoir si nous nous dirigeons vers le scénario le plus optimiste, avec des températures maximales comprises entre 32 et 34 degrés, ou le plus pessimiste, avec des températures dépassant les 35 degrés et qui pourraient flirter avec les 40.
Peut-on dire que ces canicules sont de plus en plus fréquentes ?
Il n’y a pas de doute. Ce que nous avons vécu en juin doit être défini plutôt comme un pic de chaleur et non comme une vague de chaleur. Mais quand on regarde les statistiques, il ne fait aucun doute qu’il y a eu une augmentation très importante des vagues de chaleur au cours des trente dernières années. Ce phénomène s’est encore intensifié depuis 2015. Depuis cette année-là, nous avons connu au moins une vague de chaleur chaque été, à l’exception de 2021 qui était une année particulière.
A Uccle, durant les 100 premières années d’observation à partir de 1892, il y avait une canicule tous les quatre ans. Depuis 1990, nous en avons eu deux tous les trois ans. Il ne fait donc aucun doute que ce phénomène est en augmentation. Ceci est corroboré par d’autres indices allant dans le même sens. Par exemple, le nombre de jours d’été — c’est-à-dire un jour où la température atteint ou dépasse 25 degrés — était de 20,4 en moyenne annuellement entre 1961 et 1990. Au cours de la période de référence actuelle (de 1991 à 2020), nous sommes passés à 29,9 en été. journées. Cela représente une augmentation de près de 50 %. C’est considérable !
Cette évolution est-elle inquiétante ?
Oui absolument. On peut le voir d’un point de vue assez égoïste en nous disant qu’on passe un bon été et que c’est agréable. Mais il faut noter que ces températures excessives ne sont pas absolument normales. Nous sommes dans un climat océanique tempéré, donc, un climat qui donnera une place privilégiée aux alternances entre des temps parfois un peu mitigés avec un peu de pluie et des journées ensoleillées. Des blocages ont été observés ces dernières années, ce qui apportera du beau temps pour longtemps mais aussi des températures excessives pour notre pays. Il faut bien comprendre qu’avoir des répétitions de séquences aussi chaudes est vraiment problématique. Reste à voir si ce scénario perdure dans les décennies à venir… Ce serait très inquiétant. Nous avons déjà gagné 2,1 degrés depuis le milieu du XIXe siècle. Ce n’est pas énorme, en soi, mais cela a déjà provoqué des vagues de chaleur bien plus importantes. Si nous continuons dans cette voie, nous pouvons imaginer que les conséquences seraient encore plus préoccupantes.
De plus, force est de constater que face à cette hausse les températures ont gagné 1,2 degrés en à peine trente ans, de 1991 à 2020. C’est tout de même considérable en si peu de temps. Nous avons tendance à penser qu’un diplôme n’est pas tellement. Mais il faut bien comprendre qu’un degré de plus peut générer des températures extrêmes beaucoup plus marquées. Pour preuve, le record de température d’Uccle. Le précédent record remontait à juin 1947, lorsqu’une température de 36,8 degrés avait été enregistrée. En juillet 2019, on est monté à 39,7, soit près de 3 degrés supplémentaires.
Doit-on s’attendre à ce que ces vagues de chaleur, en plus d’être de plus en plus fréquentes, deviennent de plus en plus intenses ?
Oui absolument. C’est ce que nous voyons dans les scénarios proposés. Il y a quelques années, les modèles qui prédisaient 40 degrés en Belgique étaient considérés comme impossibles. Nous savons maintenant que des températures aussi élevées sont tout à fait possibles. C’est intrigant ! Il est bien concevable que nous nous approchions de scénarios pessimistes. Elle dépend de nombreux paramètres, comme notre capacité à limiter les émissions de gaz à effet de serre dans les décennies à venir.
Les hivers seront-ils de plus en plus froids ? La neige se fera-t-elle plus rare ?
Absolument. On le voit très bien depuis la fin des années 80. Jusque là on avait presque autant de vagues de froid que de chaud. En moyenne, il y en avait un tous les quatre ans. Mais depuis 1992, seules deux vagues de froid ont été comptabilisées, dix fois moins que les vagues de chaleur. Cela montre que la probabilité d’avoir un épisode de grand froid en Belgique diminue avec l’âge. C’est étonnant. Certains diront que c’est bon pour la facture de chauffage. C’est vrai, mais il faut comprendre que ce n’est pas bon du tout pour l’équilibre de la nature. En Belgique, le froid en hiver fait partie de notre climat. Il est également utile pour lutter contre certains parasites.
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Quelles sont les conséquences concrètes de ces températures extrêmes pour la population belge ?
Ces températures sont déjà problématiques pour les personnes sensibles et fragiles, notamment les personnes âgées. Mais il faut dire que les conséquences se feront de plus en plus sentir à l’avenir. Cela va poser un problème de santé publique. Le corps n’est pas fait pour vivre avec des températures supérieures à un certain seuil, surtout dans des pays comme la Belgique où la construction de logements et d’infrastructures n’est pas du tout similaire à celle de pays chauds comme l’Espagne et le Portugal. Nous devrons nous adapter énormément à l’avenir pour pouvoir supporter ces températures. Le problème se posera principalement dans les grandes villes, où le béton et l’asphalte emmagasinent la chaleur le jour et la restituent la nuit.
Viennent ensuite d’autres problèmes plus généraux, comme les sécheresses récurrentes. Cela va probablement poser des problèmes, notamment pour le monde agricole, comme on l’a vu il y a quelques semaines. Des aspects plus marginaux pour la Belgique pourraient également devenir plus préoccupants à l’avenir, comme les incendies de forêt. Ce qui aurait pu arriver à quelque chose d’absolument rare dans le passé pourrait devenir plus récurrent dans les décennies à venir si la hausse des températures s’accélère.
Comprenez-vous que certains peuvent encore s’interroger sur le fait que ces canicules soient liées au réchauffement climatique ?
Soyez toujours ouvert même aux arguments les plus antagonistes. Mais le réchauffement climatique ne peut être nié. Les chiffres le prouvent. Ce que nous pouvons éventuellement discuter dans une certaine mesure, c’est la cause humaine du réchauffement climatique, c’est-à-dire si c’est vraiment l’homme qui est l’élément fondamental du réchauffement climatique. Ici, il est possible de classer un peu. Mais la plupart des études scientifiques montrent encore que l’homme a une énorme implication dans cette hausse des températures et surtout dans son apparition brutale. On dira que nous avons aussi connu des hausses de température dans les périodes plus anciennes. Certes, mais ils n’ont pas eu autant d’intensité en si peu de temps. D’autres diront que c’était une époque où la Terre était beaucoup moins peuplée. Ce sont des arguments difficiles à entendre aujourd’hui. Cela ne devrait pas non plus devenir un dogme. J’aimerais aussi être un peu plus sceptique, j’aimerais ne pas jouer les prophètes catastrophiques mais malheureusement les chiffres que j’analyse sont tellement inquiétants qu’on ne peut pas se voiler la face. Clairement, cette augmentation est vraiment très inquiétante et en phase avec l’augmentation des gaz à effet de serre.
Effondrement d’un glacier en Italie, inondations en Australie, pics de chaleur record… S’attendait-on à ce que ces phénomènes prennent si rapidement une telle ampleur ?
Nous devons être prudents et garder à l’esprit que nous avons beaucoup plus de couverture médiatique qu’il y a 50 ans. Les événements ont peut-être été moins médiatisés à l’époque, mais…