« Pour ne rien te cacher, je voulais aller jouer au hockey sur glace (..) Là, je te parle depuis la salle de sport », répond Vladimir Poutine à Emmanuel Macron qui vient de lui proposer une rencontre au sommet avec Joe Biden : This The End de l’appel téléphonique surréaliste intervient quatre jours avant le début de l’offensive russe en Ukraine.
Les neuf minutes de conversation, à la fois originales et passionnantes, sont au cœur du documentaire “Un président, l’Europe et la guerre”, signé Guy Lagache, qui explique les coulisses des six derniers mois à l’Elysée et sera diffusé . Jeudi soir sur France 2.
Dimanche 20 février au matin, la caméra s’arrête sur le conseiller diplomatique du président, Emmanuel Bonne, entouré de trois collaborateurs, dans son bureau du 2, rue de l’Elysée.
Le président français, qui s’était rendu à Moscou et Kyiv quelques jours plus tôt, a entamé une ultime médiation pour tenter d’éviter la guerre.
Les quatre membres de la cellule diplomatique élyséenne suivent de loin l’échange téléphonique de leur “patron” avec le maître du Kremlin.
Emmanuel Macron semble ferme, offensif, un brin péremptoire, voire fragile. Vladimir Poutine ne baisse pas les bras, il se fâche. « Écoute-moi, lui dit-il. Derrière certaines expressions russes de courtoisie, l’ironie, voire le cynisme n’est jamais loin.
Le président français entame la conversation, sans dévier : “Je voudrais que vous me fassiez d’abord votre lecture de la situation et peut-être très directement, comme nous le faisons tous les deux, que vous me disiez quelles sont vos intentions”, a-t-il dit.
“Que puis-je dire ? Vous voyez ce qui se passe”, a rétorqué Vladimir Poutine, évoquant les accords de Minsk censés ramener la paix dans l’est de l’Ukraine, où les séparatistes pro-russes sont à la pointe de la manœuvre depuis l’annexion de la Crimée par Russie. 2014. Il accuse Volodymyr Zelensky d’avoir dit vouloir acquérir des armes nucléaires. “Non, n’importe quoi”, commente Emmanuel Bonne.
“Où vous trompez-vous ?”
“En fait, notre cher collègue, M. Zelensky, ne fait rien (pour les appliquer). Il vous ment”, attaque-t-il, selon la traduction du documentaire, parlant du président ukrainien.
Le maître du Kremlin accuse son homologue français de vouloir “réviser les accords” et demande que les propositions de paix des séparatistes soient prises en compte.
Emmanuel Macron s’insurge contre la déclaration de son interlocuteur : “Je ne sais pas où votre avocat a appris la loi. Je regarde juste les textes et j’essaie de les appliquer !”, lance-t-il.
Vladimir Poutine reprend ses fonctions, regrettant que les indépendantistes ne soient pas entendus. « Nous nous soucions des propositions des séparatistes ! », déclare le président français, ajoutant qu’elles ne sont pas prévues dans l’accord.
Mais le locataire d’Elysium fait aussi office de médiateur. Il propose une réunion de toutes les parties. “Je vais immédiatement exiger cela de Zelensky”, insiste-t-il.
“La situation sur la ligne de contact est très tendue. Hier, j’ai vraiment appelé Zelensky au calme. Je lui redirai, calmez tout le monde, calmez-vous sur les réseaux sociaux, calmez les Forces armées ukrainiennes”, promet-il.
Il invite son homologue à faire de même avec les forces russes stationnées à la frontière avec l’Ukraine. “Ne cédez pas aux provocations d’aucune sorte dans les heures et les jours à venir”, prévient-il également.
“Nous restons en contact”
Emmanuel Macron atteint enfin le but de son appel, convaincre Vladimir Poutine d’accepter une rencontre avec l’Américain Joe Biden à Genève pour tenter une désescalade à la barre.
Vladimir Poutine n’est pas très excité, encore moins à l’idée de fixer une date. “Avant tout, il faut préparer cette rencontre en amont”, insiste-t-il. Emmanuel Macron finit par lui arracher un “accord de principe”.
Dans la foulée, l’Elysée annoncera un prochain sommet Biden-Poutine, qui n’aura pas lieu.
“On reste en contact en temps réel. Dès qu’il y a quelque chose, appelle-moi”, glisse enfin Emmanuel Macron. “Merci, Monsieur le Président”, conclut Poutine en français.
Quatre jours plus tard, le bilan sera amer. “On ne l’a pas convaincu, il a envahi l’Ukraine”, raconte Emmanuel Macron, sans vernis, devant la caméra de Guy Lagache.
“Je pensais qu’on pourrait trouver par (…) la confiance, la discussion intellectuelle, un chemin avec Poutine”, raconte-t-il, le 16 juin, dans le train qui le ramène d’une visite à Volodymyr Zelensky.
Avec les exactions commises par l’armée russe, notamment à Boutcha, un pas “irréversible” a été franchi au “niveau moral”, dit-il. “Puis je lui ai beaucoup moins parlé”…