AFP, mis en ligne le jeudi 21 juillet 2022 à 11h12
La Banque centrale européenne (BCE) va relever jeudi ses taux d’intérêt pour la première fois depuis plus d’une décennie face à une inflation débordante, marquant un tournant majeur après une longue période d’argent disponible dans la zone euro.
Mais en même temps, il faut veiller à ne pas aggraver la crise économique dans une zone euro déjà fragilisée, les problèmes énergétiques et la crise politique ouverte en Italie.
Le Premier ministre Mario Draghi a remis jeudi sa démission au président italien. Avec son pedigree d’ancien président de la BCE, il était perçu comme un facteur de stabilité par les marchés.
L’institution de Francfort a déjà annoncé son intention de relever ses taux, se disant déterminée à ramener l’inflation à 2% à moyen terme, comme l’exige son mandat.
La seule question est de savoir quelle sera la mesure de cette hausse : seulement un quart de point de pourcentage comme indiqué en juin ou, comme le pensent un nombre croissant d’experts, 50 points de base d’affilée ?
Cette dernière option signifierait la fin de l’ère des taux négatifs commencée en 2014.
Un taux de -0,5% est désormais appliqué en dehors des dépôts bancaires latents auprès de la BCE, mesure qui favorise la distribution de crédit et contribue donc à faire monter l’inflation.
– L’inflation au top –
Cependant, l’inflation dans la zone euro continue d’augmenter sous l’effet conjugué de la reprise post-Covid, des tensions dans les chaînes d’approvisionnement et de la crise énergétique liée à l’offensive russe en Ukraine.
Le taux d’inflation a atteint 8,6% en juin depuis un an et devrait continuer à augmenter dans les mois à venir.
Les acteurs de marché parient sur une action « résolue » de la BCE, comme en témoigne la récente appréciation de l’euro face au dollar, après avoir évolué à parité.
Pourquoi “échouer avec une hausse de 25 points de base et attendre septembre pour la sortir du territoire négatif ?”, s’interroge Antoine Bouvet, spécialiste tarifaire chez ING.
Il est “difficile d’imaginer passer l’été à taux négatifs alors que l’inflation en zone euro continue d’augmenter”, renchérit Franck Dixmier, directeur de la gestion obligataire chez Allianz Global Investors.
Cependant, les gardiens de l’euro devront faire face à ce credit crunch avec prudence, à l’heure où les craintes d’une nouvelle crise de la dette refont surface avec les incertitudes politiques italiennes.
Le départ de M. Draghi pourrait conduire à la dissolution du Parlement et à des élections anticipées cet automne.
– Différences de types –
Sa démission a immédiatement fait repartir le taux d’endettement italien, quelques heures avant une conférence de presse où la BCE détaillera les contours d’un bouclier “anti-fragmentation” pour la zone euro.
Ce dernier a été conçu pour lisser les différences entre les types d’endettement, ou “spreads”, entre les pays endettés sans risque, comme l’Allemagne, et les plus fragiles.
La BCE soutient que ces « spreads » entravent la bonne transmission de sa politique monétaire. Mais des conditions strictes d’utilisation doivent être définies, les gardiens de l’euro n’ont pas le droit d’aider les gouvernements à budgétiser.
Mais “une crise politique auto-infligée en Italie est le cas de texte où la BCE ne devrait pas intervenir”, prévient Frederik Ducrozet, économiste en chef chez Pictet Wealth Management.
– Les États-Unis pionniers –
Alors que le coût du crédit augmente, pour la première fois depuis 2011, la BCE suivra les traces des autres banques centrales du monde.
La Réserve fédérale américaine a relevé ses taux d’intérêt depuis mars et sa fourchette de taux des fonds fédéraux, maintenant entre 1,5 et 1,75 %, pourrait augmenter de 75 points de base d’ici la fin juillet.
Dans la zone euro, la crise du gaz complique le travail de la BCE.
Le gazoduc Nord Stream reliant la Russie à l’Allemagne a certes été redémarré jeudi après dix jours de maintenance, mais avec un débit réduit par rapport au précédent sur le site et qui représentait lui-même 40 % de la capacité depuis la mi-juin.
L’arrêt total des livraisons de gaz par Moscou plongerait la zone euro dans la récession et une hausse trop rapide des taux aggraverait la situation.